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L'ère de la scène

Site d'Eléonore de Vulpillières. Recensions d'essais, pièces de théâtre, expositions... mon site propose des sujets relatifs à la scène culturelle.

Au centre Wallonie Bruxelles, on célèbre la francophonie sans langue française

Dans la cour du centre Wallonie-Bruxelles

Dans la cour du centre Wallonie-Bruxelles

Dans la rue Saint-Martin

Dans la rue Saint-Martin

Les deux danseurs se traînent sur le sol.

Les deux danseurs se traînent sur le sol.

Venue rendre une méthode de polonais dans une bibliothèque municipale située dans le Marais, je me dis qu’il serait opportun d’aller voir l’exposition sur le surréalisme au Centre Pompidou. Je ne suis à mon grand étonnement pas la seule à avoir eu cette idée, puisqu’il y a de la queue devant le musée. Soudain un spectacle qui semble plus surréaliste que l’exposition de Beaubourg attire mon attention. Deux hommes noirs gras du bide en slip blanc se peinturlurent de motifs tribaux avec de la peinture blanche en pleine rue Saint-Martin devant le centre culturel Wallonie-Bruxelles. Si Saint Martin leur aurait offert la moitié de son manteau, nous arrivons hélas avec 1600 ans de retard, et personne ne pense à les rhabiller. Voilà un spectacle qui ne laisse pas de m’intriguer. Je décide d’entrer dans le centre. Joli changement de pied : je tombe sur une exposition LGBT+, des dessins d’hommes noirs barbus et velus qui s’embrassent et s’apprêtent à se faire une fellation. Je suis décidément au bon endroit. Les deux danseurs m’emboîtent le pas, entrent à leur tour dans le centre avec leurs miroirs, se traînent à quatre patte sur le sol en tirant une valise derrière eux, et en faisant tintinnabuler une cloche. Débouchant sur la cour du bâtiment, ils se mettent à hurler comme des sauvages. De bons bourgeois blancs venus par hasard ou à dessein s’encanailler admirent ce spectacle de la décivilisation avec un paternalisme mêlé de curiosité ethnographique, mais bien sûr antiraciste.

L’un des deux danseurs, le plus jeune, verse de la bière autour d’une cahute ornée de bambous et de fausses fleurs. 

Ils chantent ou hurlent des musiques tribales au son de la cloche. Ils se défient du regard et jouent à cache-cache. Le plus jeune se remonte les couilles, puis il imite une poule folle. Jusque là tout, l’assistance est très à l’aise. Le jeune se lance ensuite dans des acrobaties sur un escabeau. Se hissant avec habileté sur un des montants en pierre du portail de la cour, il brandit la valise - que son complice lui a tendue - dûment positionnée sur le sommet de son crâne. Dans l’intervalle, un retraité alerté par le vacarme observe le spectacle d’un air atterré mais intéressé, depuis la fenêtre de son appartement. Avec son compère chauve, le jeune danseur fredonne avec férocité un chant tribal, puis se met à s’exciter dans une langue tierce sur son comparse qui est tout occupé à poursuivre une plume de pigeon dans la cour. Soudain les plumes volent dans la cour, jaillissant de la mystérieuse valise. Le jeune danseur noue une corde à partir de cordons de rideaux occidentaux. À ce moment de la performance, le spectateur clandestin retraité est toujours vaillant, fidèle au poste. Au bout de quelques instants, il finit par s’impatienter et rentre dans sa tanière. L’exotisme ça va bien cinq minutes. Erreur de ma part ! Jean-Bernard revient, chaussé de ses lunettes, sans doute par peur de louper quelque chose d’important. Ce en quoi il a bien raison : le jeune termine de vider toutes les plumes de la valise, qui jonchent désormais la cour du centre culturel belge (au cas où quelqu’un aurait oublié la nationalité de l’endroit où nous nous trouvons). Un gamin portant une très seyante casquette dragon se lance dans des fouilles pluméo-archéologiques.

Le jeune descend en s’accrochant aux grilles tel un Sylvain Tesson sobre ou un Mowgli du Livre de la Jungle urbaine. Le danseur se roule dans les plumes tandis que son compère allume des bâtonnets d’encens sur fond de musique répétitive - composée de deux phrases qui passent en boucle - qui commence, disons-le, sincèrement, à lasser tout le monde. Le public reste pourtant très patient. Comment toute cette mascarade va-t-elle finir ?

Le jeune confie à chacun des membres de l’assistance une pleine poignée de plumes - le spectacle est interactif.  Certains sont gênés par l’offrande et la laissent s’éparpiller par terre. Il s’en met dans le slip par la même occasion. Le spectacle s’achève sous des applaudissements soulagés.

 

Une femme dont le costume, la fraise et les cheveux noir corbeau semblent sortir à la fois de La ronde de nuit de Rembrandt et de la Famille Adams se lance dans une allocution sur la géopolitique du divers. J’apprends avec intérêt que cet événement où pas un seul mot français n’a été prononcé a été organisé dans le cadre de la semaine de l’Organisation internationale de la francophonie. Elle achève son allocution par une citation de Boutros Boutros-Ghali : « La francophonie sera imaginative ou ne sera pas. » Le spectacle a fait déborder mon imagination, je suis aux anges. J’attrape au bar une bière bruxelloise Taras Boulba en quittant les lieux. Je pense à Gogol (et aux gogols), ma soirée démarre bien.

La directrice du centre Wallonie Bruxelles explique que l'événement s'inscrit dans la semaine de la francophonie.

La directrice du centre Wallonie Bruxelles explique que l'événement s'inscrit dans la semaine de la francophonie.

Une des oeuvres exposées dans la galerie

Une des oeuvres exposées dans la galerie

La bière Taras Boulba

La bière Taras Boulba

Le lancer de plumes
Le lancer de plumesLe lancer de plumes

Le lancer de plumes

L'offrande des plumes
L'offrande des plumes

L'offrande des plumes

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