6 Décembre 2024
Cet entretien a été publié le 6 décembre sur le site de Marianne.
Propos recueillis par Eléonore de Vulpillières
Publié le 06/12/2024 à 13:00
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C’est une enquête passionnante menée pour la première fois en Belgique francophone par deux journalistes, Laurence D’Hondt et Jean-Pierre Martin. Allah n’a rien à faire dans ma classe (éditions Racine), voilà le cri d’alarme de nombreux professeurs belges sur un sujet encore plus sensible qu’en France, celui de l’islamisation de l’école.
À travers des témoignages anonymisés, le lecteur découvre l’ampleur du problème, et le sentiment de solitude de ces enseignants qui hésitent à prendre la parole à haute et intelligible voix pour dénoncer les dérives de la pratique islamique dans les classes. Marianne s'est entretenu avec les auteurs de l'ouvrage.
Marianne : Samedi 16 novembre, vous deviez présenter votre livre à la Fnac de Woluwe-Saint-Lambert, à Bruxelles. Au dernier moment, cet événement a été annulé. Pour quelle raison ?
Jean-Pierre Martin : Selon les explications de notre éditeur et du porte-parole de la Fnac, des groupes de jeunes ont, à de multiples reprises, intimidé le personnel de la Fnac pour obtenir l’annulation de la présentation du livre et son retrait. Ils auraient justifié leur intrusion dans la librairie par le fait qu’il était interdit de citer le nom d’Allah. Une enquête est en cours afin d’identifier les jeunes.
La place de l’islam de l’école et les confrontations des élèves aux enseignants ou des enseignants entre eux est un sujet très sensible en Belgique. La parole des professeurs commence-t-elle à se libérer ?
Laurence D’Hondt : Ce livre est le premier à donner la parole à des professeurs confrontés à cette idéologie islamiste au sein des écoles belges francophones. Les confidences des professeurs n’étaient pas faciles à recueillir. Certains ont longuement hésité parce que le sujet est tabou dans la société belge et au sein des établissements scolaires. Certains ont demandé, sous la pression de leur entourage qui craignait pour leur sécurité, de retirer les témoignages après s’être pourtant livré. Mais notre livre a permis à nombre de professeurs de se libérer du poids du silence.
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Le port du voile est autorisé dans les écoles belges, que ce soit par les professeurs ou les élèves. Pose-t-il problème au sein de certains établissements ?
L. D'H. : L’autorisation du port du voile ou des signes convictionnels ostentatoires dépend du règlement intérieur de chaque établissement en Belgique, ce qui induit d’une part une insécurité légale pour chaque école et chaque professeur et d’autre part une concurrence entre les écoles. Comme en France, il existe une pression des élèves voilées sur les élèves qui ne le portent pas. Cette question divise le corps professoral.
À partir des témoignages que vous avez collectés, comment se manifeste concrètement l’entrisme des Frères musulmans dans les écoles belges ?
J.-P. M. : Cet islamisme d’atmosphère est à l'œuvre depuis plus de vingt ans en Belgique et se manifeste de façon visible à travers le conflit autour du port du voile, mais surtout à travers les choses les plus banales d’une école. Chez les plus petits, cela peut prendre la forme du refus d’un petit garçon de s’asseoir à côté d’une petite fille, de considérer qu’une professeur en jupe est une femme de mauvaise vie ou encore de pousser des hurlements quand, lors du déjeuner, une tartine au jambon se retrouve à côté d’une nourriture halal.
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Pour les collégiens et les lycéens, il s’agit de la contestation de matières telles que l’histoire, plus spécifiquement l’histoire de la Shoah, la biologie et la théorie de l’évolution, du refus d’apprendre l’anatomie du corps d’une femme ou d’un homme, du refus de participer à des voyages scolaires ou à des sorties culturelles en raison de la mixité ou du non-port du voile en dehors de l’école.
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Dans les Hautes Écoles qui préparent les étudiants à devenir instituteurs ou professeurs de collèges, il y a un refus de plus en plus fréquent de transmettre certaines matières qu’ils apprennent par cœur pour réussir l’examen avant de déclarer qu’ils n’enseigneront pas cela à leurs futurs élèves. Les étudiantes en graduat d’infirmières refusent aussi d’apprendre l’anatomie, le fonctionnement de l’appareil reproductif, ce qui a déjà des conséquences dans l’organisation des hôpitaux. Certaines conditionnent leur stage à l’autorisation du port du voile.
Quelles répercussions les assassinats de Samuel Paty en 2020 et de Dominique Bernard en 2023, ont-elles eu en Belgique en général, et au sein de la communauté éducative en particulier ?
J.-P. M. : Malheureusement, ces assassinats n’ont pas réveillé la conscience collective des Belges face à ce qui se passait dans les écoles. Il semblait qu’il s’agissait d’une tragédie ponctuelle et circonscrite à la France.
Face aux intimidations, de nombreux professeurs belges redoutent désormais d’enseigner. Ce phénomène est-il pris au sérieux par les Communautés (entités régionales), qui organisent l’enseignement belge ?
L. D'H. : La Flandre a réagi en s’inspirant des procédures mises en place en France notamment à travers le signalement des comportements radicaux. Il existe des cellules d’intervention contre les phénomènes radicaux en Belgique francophone, mais elles ne prennent pas en compte la dimension inhérente à cette idéologie qui vise à s’imposer comme unique mode de penser et de vivre l’islam et rejette les valeurs occidentales, telles que l’égalité entre les hommes et les femmes ou le respect de la liberté de conscience. Elle sous-estime ce prosélytisme, les pressions subies au jour le jour sur les élèves et professeurs de confession musulmane qui voudraient vivre – ou non – leur foi, à leur manière.
Le principe belge de « neutralité » est-il aujourd’hui remis en cause ? Pourquoi celui de « laïcité » suscite-t-il une forte opposition en Belgique ?
J.-P. M. : Le principe de laïcité française n’a pas été retenu par les pères fondateurs de la Belgique au XIXe siècle parce que l’histoire du pays est construite sur un compromis entre les catholiques et les libéraux. Elle n’a pas établi de séparation claire entre l’État et les religions. Cela veut dire que l'État belge organise et subventionne les différents cultes et des professeurs de religion enseignent dans les écoles officielles d’État sous le contrôle des cultes. Ce principe de neutralité choisi est d’autant plus perméable à la pression religieuse que les différents cultes l’utilisent au nom de l’inclusivité pour maintenir, voire encourager, la présence de la religion au sein des écoles officielles.
Des enseignants témoignent de la diminution progressive des élèves « belgo-belges » et de l’ambiance pesante qui résulte de la communautarisation de l’école. Comment cela se manifeste-t-il ?
J.-P. M. : Depuis le milieu des années 1960, la Belgique, comme tous les pays européens, a accueilli différentes vagues d’immigration en provenance de l’Europe du Sud et du Maghreb sans prendre en compte les spécificités culturelles et religieuses. Ces populations se sont installées dans des quartiers à Bruxelles et dans toute la Wallonie qui sont aujourd’hui paupérisés.
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Avec la Révolution iranienne, le poids financier de l’Arabie saoudite et la montée de l’islamisme des Frères musulmans, financés par le Qatar, les jeunes générations de ces quartiers ont été encouragées à se réislamiser et à revendiquer une identité religieuse beaucoup plus visible que celle adoptée par leurs grands-parents. Cela a eu pour conséquence de créer des écoles ghettos où la mixité sociale et culturelle a progressivement disparu.
Qui sont les enseignants belges qui sont entrés en résistance, et comment ?
L. D'H. : Les professeurs sont toujours très seuls pour faire face à la pression islamiste ou plus marginalement du fondamentalisme chrétien dans leurs classes. Un groupe de professeurs d’une Haute École formant les instituteurs de demain, a réagi à la fronde d’étudiantes qui ont déposé plainte contre le règlement de leur établissement et exigé de pouvoir porter le voile.
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Ces professeurs ont fédéré autour d’eux d’autres professeurs, d’autres directeurs d’établissement pour défendre auprès des tribunaux, la préservation de la neutralité de leur établissement. Malheureusement, la dernière décision de la Cour constitutionnelle vient de rejeter leurs arguments.
Allah n’a rien à faire dans ma classe, Laurence D’Hondt et Jean-Pierre Martin, éditions Racine, 192 p., 22,50 €.