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L'ère de la scène

Site d'Eléonore de Vulpillières. Recensions d'essais, pièces de théâtre, expositions... mon site propose des sujets relatifs à la scène culturelle.

De l'égyptologie à la théologie : Père Michel Gitton

Père Michel Gitton ©Claudia Corbi

Père Michel Gitton ©Claudia Corbi

Ce portrait a été publié dans le numéro 7 de la Revue Mission, illustré par les photographies de Claudia Corbi.

 

Prêtre depuis 1974, le Père Michel Gitton a toujours pratiqué l’évangélisation de rue. Ce converti croit fermement que la quête spirituelle de notre génération trouvera sa réponse dans le Christ, et qu’il faut être missionnaire pour diffuser la parole de Dieu.

 

C’est une église moderne, construite dans les années 1950, dont le clocher et la croix se dressent entre les immeubles du quartier de la Villette. Notre-Dame-de-l’Assomption des Buttes-Chaumont se trouve sur les flancs desdites Buttes, rue de Meaux, dans le XIXe arrondissement de Paris. Édifiée pour pallier le manque de place dans l’église Saint-Georges des Buttes-Chaumont, Notre-Dame a été financée par les habitants du quartier. Aujourd’hui, c’est son curé, le Père Jean-Luc Leverrier, membre de la communauté Aïn Karem, qui a convié notre missiologue, et son ami de quarante ans, le Père Michel Gitton, pour notre entretien dans la salle paroissiale.

Jusqu’au dernier moment, nous avons été bercés dans l’incertitude de ne pouvoir nous rencontrer à Paris, car le Père Gitton vit en Seine-et-Marne, à 70 km de Paris, dans une zone campagnarde mal desservie. Heureux propriétaire d’une vieille voiture tout juste ressuscitée à l’issue d’un passage chez le garagiste, il a pu venir à notre rencontre dans ce quartier qu’il connaît bien. 

©Claudia Corbi

©Claudia Corbi

Pas très grand, légèrement courbé, le Père Gitton dégage une grande force d’âme et une douce sérénité qui se lisent dans son regard clair et son franc sourire. Le Père Gitton nous parle de son fort attachement à la basilique du Sacré-Coeur de Montmartre, car c’est là qu’il retrouva la foi, à l’âge de 21 ans. “Je suis moi-même un converti”, témoigne celui qui en khâgne au Lycée Condorcet, se lia d’amitié avec une petite bande d’étudiants parmi lesquels se trouvaient Jean-Luc Marion ou Rémi Brague. Il sait l’importance de ses camarades, qui l’invitèrent à se rendre un soir à Montmartre, pour une expérience d’adoration, “chose que je ne pratiquais évidemment jamais”. C’est à cette occasion qu’il redécouvre la foi. “Mes parents n’avaient pas la foi, n’allaient pas à la messe, ne priaient pas. C’est ainsi que peu à peu, je m’étais désintéressé du Christ.” Il raconte avec une pointe d’amusement dans le regard que c’est paradoxalement sa passion pour l’Egypte antique qui le conduisit à se pencher sur les questions spirituelles. L’histoire d’un jeune Egyptien en quête de sagesse, piochée dans une bibliothèque municipale, lui fit prendre conscience de sa soif spirituelle. “A travers cet épisode historico-ésotérique, c’est le Christ que je cherchais.” A la réflexion, estime-t-il, c’est aussi le cas de nombreux Français athées ou agnostiques, de famille anciennement catholiques, qui se ressourcent à travers le yoga, la méditation ou une forme de développement personnel. C’est notamment à ces personnes que l’on doit apporter la parole de Dieu et la figure du Christ.

©Claudia Corbi

©Claudia Corbi

Mais depuis 45 ans, comment le Père Gitton a-t-il réussi à parler du Christ aux gens dans la rue ? Jeune prêtre, marqué par l’action de Monseigneur Maxime Charles, recteur du Sacré-Coeur, il a pour mission d’organiser des activités pour les jeunes. De fil en aiguille, il fait, avec d’autres, de l’apostolat sur les marches de la basilique, des discussions plus ou moins fournies avec les badauds présents autour du Sacré-Coeur. “Parmi les grandes choses que Mgr Charles nous a apprises, j’ai retenu qu’il ne fallait pas se résigner à une déchristianisation pseudo-irréversible. Non, l’incroyance n’est pas une réalité irrévocable”. Habité par la conviction que tout homme est fait pour rencontrer le Christ, le Père Gitton n’a jamais cessé l’évangélisation de rue depuis 1978. A Montmartre, Saint-Louis d’Antin, Saint-Germain-l’Auxerrois où il fut curé, et depuis plusieurs années à Sarcelles, il multiplie les journées dans le monde, au milieu des hommes. Avec toujours le même modus operandi. “Sur un tabouret, l’un d’entre nous parle de Jésus pendant une heure, ce peut être moi, ou un autre ; autour du prêcheur, plusieurs personnes vont aborder les gens, plus ou moins longtemps selon leur disponibilité et leur curiosité.” Sur les personnes sollicitées, nombre d’entre elles passent leur chemin, mais il y en a aussi beaucoup qui s’intéressent à l’initiative, et posent des questions. Dans un sourire, il nous raconte une expérience malheureuse, au tout début de sa mission de terrain. Armé d’un mégaphone pour se faire entendre de tous, il avait vu débarquer la police, alertée par des commerçants mécontents, et soucieux de faire cesser au plus vite le ramdam. Désormais, l’évangélisation se déroule sans hauts-parleurs, car cela “gêne les passants et casse l’équilibre de la relation”. 

©Claudia Corbi

©Claudia Corbi

Le père a aussi fait du porte-à-porte dans différents quartiers. En binôme, cette mission consiste à aller visiter les immeubles, et à frapper aux portes. “On est plus ou moins bien reçus, parfois les portent se ferment, voire se claquent avec méfiance. Mais d’autres personnes sont heureuses d’avoir une visite dans leur journée, de discuter. Un jour, une dame m’ouvre. Elle avait depuis longtemps pris ses distances avec la foi catholique et l’Eglise. Nous avons pu échanger longtemps, elle en était tout heureuse, car cela a été l’occasion pour elle de poser toutes les questions qu’elle n’avait jamais pu poser à propos de la foi”.

 

Quels sont les sujets qui suscitent le plus de curiosité et d’envie ? Pour le Père Gitton, le plus convaincant dans le christianisme, c’est le projet que Dieu a pour l’homme. “Dieu nous aime, il nous délivre du Mal. Exposer cette vérité est essentiel. Je ne crois pas à un programme méthodique, qui expliquerait par le menu les bases de la foi catholique. Ce qui compte, c’est de présenter le mystère chrétien lui-même.” Il évoque des musulmans avec lesquels il a discuté, et qui ont été touchés par l’Eucharistie, avant de se convertir. Dans L’amour seul est digne de foi, un ouvrage dont la lecture l’a marqué, le théologien Hans Urs von Balthasar défend l’idée selon laquelle le christianisme dans son organicité convainc par la splendeur de la vérité du Christ, et que ça n’est pas une démonstration en pièces détachées qui emporte l’adhésion des hommes. 

 

Jésus doit être au centre du discours missionnaire, dans son épiphanie, sa manifestation lumineuse. “On dit souvent qu’il ne faut pas chercher à convaincre, je crois au contraire, à l’image des apôtres, que l’on doit convaincre ceux à qui l’on parle, sans évidemment forcer ou écraser son interlocuteur.” Dans la mission de rue, il y a toujours la rémanence d’une parole fraternelle qui rejoint l’autre, rappelle-t-il.

©Claudia Corbi

©Claudia Corbi

Le Père Gitton a souvent échangé avec des musulmans, et parmi eux, de futurs baptisés. Les discussions ne partent pas du même point que celles avec les Français sécularisés et agnostiques. “A Sarcelles, tout le monde croit en Dieu. Tout est ensuite une question de savoir lequel, et par quel chemin passe la foi.” Avec des mots simples, il explique le projet de Dieu pour nous, le mystère de l’incarnation, de la rédemption. “Il n’y a pas besoin d’affadir le message de l'Église, les gens cherchent quelque chose de vrai, de fort.” Il discute du jeûne, une pratique religieuse familière aux musulmans. Pour susciter des conversions, il faut selon lui que les catholiques soient fiers de leur foi, de ce en quoi ils croient, et donner l’exemple de communautés fortes et rayonnantes. “Avoir honte, masquer sa religion, cela n’attire personne”. 

 

Il se souvient, quand il était séminariste au début des années 1970, d’avoir visité Poitiers, ville dont il se souvient de la magnificence des églises. Or, la messe était triste, “dite dans une arrière-sacristie humide, seules quelques personnes âgées y participaient, autour d’un prêtre sans chasuble qui célébrait l’eucharistie sur une nappe gondolée”. Pour lui, la beauté du culte doit être à la hauteur de celle des édifices. Il déplore le minimalisme ambiant, qui ne rend pas justice à la liturgie. “Les gens sont sensibles au beau ; la beauté liturgique ouvre les coeurs”, estime-t-il avec certitude. Dans ces situations, on se retrouve face à quelque chose qui nous dépasse, face à l’indicible.

 

Le Père Gitton veut croire à un retour en masse dans les églises, “on a le droit de prier pour ça” lance-t-il, persuadé que la multiplication des cas individuels de conversion pourrait être de nature à toucher tout un milieu. Il prend l’exemple, dans les années 1930, des efforts conjugués de l’Eglise pour toucher le monde ouvrier, marqué par la désaffection des églises, et qui connurent un certain succès jusqu’à la Seconde Guerre mondiale. Près de cent ans plus tard, en 2023, les hommes sont toujours en quête spirituelle. “A nous de montrer que cette quête trouve sa réponse dans le Christ”. Quid des difficultés contemporaines à libérer son intériorité, polluée par les écrans, et les sollicitations diverses, notamment chez les plus jeunes ? Pour le père missionnaire, un jour, “ils n’en pourront plus de cette intériorité perturbée, ils jetteront leurs smartphones aux orties ! Malgré la modernité, les cœurs humains demeurent et vibrent, si on leur parle, en vérité, de l’essentiel”. La mission a encore de beaux jours devant elle. Avec toujours, l’espérance au cœur.

©Claudia Corbi

©Claudia Corbi

De l'égyptologie à la théologie : Père Michel Gitton
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