Les Habits neufs du féminisme

Cet article est paru dans le numéro de Marianne du 30 mars au 5 avril 2023

Dans Les Habits neufs du féminisme (ed. Intervalles), la philosophe et psychanalyste Sabine Prokhoris analyse avec acuité le phénomène #MeToo, de sa racine à ses dérives. D’un projet d’émancipation universaliste, le féminisme contemporain a basculé dans un militantisme radical et combatif dont l’ennemi principal est le patriarcat, et plus précisément, le mâle blanc hétérosexuel. Revenant sur les acquis des dernières décennies d’une lutte féministe semée d’embûches, l’autrice relève l’ingratitude et l’égocentrisme du combat #MeToo, qui pense être l’alpha et l'oméga de la future libération des femmes. Sabine Prokhoris met également en lumière le paradoxe qui consiste, au nom d’une éthique du care - c’est-à-dire du soin et de l’attention portée aux autres - à s’attaquer de façon agressive voire sauvage à des violeurs présumés qu’il faudrait tuer, et dont il faudrait “violer les cadavres” et “les donner à manger aux porcs”. Cet essai dissèque avec le regard clairvoyant du petit garçon des Habits neufs de l’empereur d’Andersen le lexique trans, à commencer par l’”assignation à la naissance”, concept extravagant selon lequel ce sont les médecins qui décident arbitrairement du sexe d’un enfant, et non la nature. “La réalité, ici somatique, sexuée, serait donc de part en part produite par la force intrinsèque du ‘récit patriarcal’. Il suffira donc de s’en débarrasser en lui substituant un nouveau ‘récit’, dit ‘féministe’.” Couché sur le lit de Procuste de l’intersectionnalité, le féminisme à la sauce #MeToo se doit d’adhérer aux fables trans… sous peine de se voir taxer de discriminatoire. Face à “l’entreprise de dissolution du réel” dans laquelle s’abîme le “MeTooisme”, la lecture de ce petit livre se révèle précieuse et revigorante.