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L'ère de la scène

Site d'Eléonore de Vulpillières. Recensions d'essais, pièces de théâtre, expositions... mon site propose des sujets relatifs à la scène culturelle.

Camus par Enthoven : une heure pour être présent à un monde qui s'en fout

Camus par Enthoven : une heure pour être présent à un monde qui s'en fout

 

J'ai récemment assisté à la représentation au Théâtre Libre (Paris 10e) de “Camus par Enthoven”. Ce seul en scène, qui dure une grosse heure, permet au spectateur, qu’il soit ou non féru de Camus, de découvrir l’ampleur de l'œuvre de l’écrivain et philosophe. 

 

J’ai été d’autant plus sensible à ce travail de synthèse, d’appropriation et disons-le, de “digestion” de l'œuvre d’Albert Camus que j’ai rédigé un mémoire* de Master 2 de lettres modernes à Paris III-Sorbonne Nouvelle, en 2018, sous la direction de Catherine Brun, intitulé “Troubles de l’identité camusienne dans Noces et Le Premier homme”. Ces deux ouvrages sont respectivement le premier et le dernier, inachevé, écrits par Camus. 

 

Raphaël Enthoven est un personnage médiatique qui suscite rarement l’indifférence, soit qu’on l’adule, soit qu’on l’exècre. Or dans cette pièce, mise en scène par Julie Brochen, Enthoven, qui a réfléchi à ce spectacle depuis des années, raconte son Camus. Cette initiative sonne juste, tant elle témoigne avec sincérité d’une volonté de l’ancien professeur de philosophie de s’inscrire dans les pas d’un auteur qu’il admire, et qui l’aide quotidiennement à traverser l’existence. L’écriture du spectacle est mouvante d’une représentation à une autre, elle fluctue autour d’une ligne directrice. Le comédien cite de mémoire ou lit des passages de Noces, du Mythe de Sisyphe, de L’Etranger, il évoque les Chroniques algériennes du jeune journaliste révolté par la misère de la Kabylie.

 

Enthoven souligne l’austérité du jeune Camus en Algérie, la simplicité qu’il adopte pour décrire ses sensations au milieu des ruines de Tipasa, dans la nature baignée par le soleil et la mer, l’expérience mystique transcrite dans Noces chez cet homme qui ne croyait pas en Dieu. Lire Camus, c’est comprendre comment être présent à un monde qui s’en fout, résume Raphaël Enthoven. “Nous naissons par hasard dans un monde indifférent, où nous allons mourir sans savoir pourquoi nous sommes passés par là”. Enthoven raisonne autour de l’absurdité de l’existence, et son dépassement dans L’Homme révolté, il disserte autour de la mise en accusation de l’humanité dans La Chute, avec Jean-Baptiste Clamence, qui crie (“clamans”) dans le désert comme le cousin de Jésus. Il compare à juste titre Les Justes de Camus à une scène du film Scarface dans laquelle Tony Montana évite de justesse l’attentat qu’il avait prévu contre un juge qui le menace, car celui-ci roule avec ses enfants dans la voiture ; dans les deux cas, un dilemme se pose entre l’accomplissement d’un but à poursuivre, et les scrupules qu’on peut avoir en commettant une injustice pour y parvenir. Enthoven met en lumière la dimension atemporelle de l'œuvre de Camus, et le plaisir qu’on peut avoir à la redécouvrir constamment. A la fin de la représentation du dimanche, le comédien échange avec son public sur le spectacle, un moment de conversation, de questionnement voire de contestation bienvenu.
 

Jusqu’au 18 décembre au Théâtre Libre, 4 bd de Strasbourg, Paris 10e.


 

*Si lire 123 pages ne vous fait pas peur, le PDF de mon mémoire est disponible sur demande, par mail : devulpilliereseleonore@gmail.com

Voici quel était mon axe de recherche : 

Si nous pouvons avancer que la recherche d'identité d'Albert Camus est trouble, c'est que l'auteur semble toujours partagé entre plusieurs réalités, et qu'il refuse de faire un choix catégorique qui prenne unilatéralement parti pour un camp. Ce phénomène s'articule sur plusieurs axes, celui de l'identité nationale et territoriale, entre France et Algérie, celui de son rapport à sa famille et au monde, entre pauvreté, révolte et exil, et celui de son métier, entre le journalisme et la littérature. 

Tout d’abord, nous verrons en quoi Albert Camus est un Français d’Algérie, un Méditerranéen, qui sera déchiré par la crise algérienne dont il ne connaîtra pas l’issue, en raison de sa mort précoce. Puis, nous tenterons de démontrer que sa quête d’identité, profondément marquée par l'absence du père, est en mouvement, entre révolte et exil. Enfin, nous nous concentrerons sur plusieurs éléments essentiels qui traversent la quête d'identité camusienne, en ce qu'ils définissent un rapport de l'auteur au monde : la recherche et l'absence de Dieu, l'importance du corps comme entité appréhendant le monde et le double rapport aux mots qu'entretient le journaliste-écrivain.

 

Raphaël Enthoven, avec Bernard Gabay ©Eléonore de Vulpillières

Raphaël Enthoven, avec Bernard Gabay ©Eléonore de Vulpillières

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