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L'ère de la scène

Site d'Eléonore de Vulpillières. Recensions d'essais, pièces de théâtre, expositions... mon site propose des sujets relatifs à la scène culturelle.

A la septième fois, les murailles tombèrent d'Henri Guaino, ou le constat désespéré d’une Cassandre dépitée

A la septième fois, les murailles tombèrent d'Henri Guaino, ou le constat désespéré d’une Cassandre dépitée

Cet article a initialement été publié sur le site de Marianne dans sa version longue le 22 novembre 2023, et dans l'édition papier du décembre 2023 dans sa version courte.

Le titre, issu des Châtiments de Victor Hugo, est biblique. Averti par Dieu, Josué demande aux prêtres de faire le tour de la ville de Jéricho en sonnant les trompettes. Pendant six jours, rien ne se passe. Mais A la septième fois, les murailles tombèrent (Ed. du Rocher) : Henri Guaino, ancien conseiller spécial de Nicolas Sarkozy et Josué du XXIe siècle prévient ses contemporains : “le pire est toujours de penser que le pire ne peut plus se produire”. Nos sociétés sont au bord de la rupture. “Depuis quarante ans, ça tient. Mais jusqu’à quand ? On ne le sait pas”. On se doute qu’on n’en a plus pour très longtemps avant le grand effondrement.

 

L’ancienne plume dresse d’abord un constat, celui d’un pays en proie aux dangereux idéologues de la table rase. Certes, les peuples allemand, russe, chinois, cambodgien ont survécu au nazisme, au stalinisme, au maoïsme et aux Khmers rouges, mais ils ont payé le lourd prix du sang. La France, “après la fureur révolutionnaire”, a conservé dans son inconscient collectif “les vertus paysannes et l’empreinte du christianisme”. Mais cette identité profonde serait aujourd’hui menacée par la volonté “libérale, progressiste, écologiste, naturaliste, animaliste, pédagogiste”, ou en un mot, wokiste, de la table rase. Celle de l’Etat par l’Union européenne, celle du mariage traditionnel par le mariage pour tous, celle de la civilisation par la violence…

Dans son essai, Henri Guaino égraine les dangers qui menacent l’avenir de la France, et propose un éclairage historique et cultivé des causes de sa décrépitude. Sa réflexion conduit à une critique du droit international moderne et du libre-échangisme, par le biais d’un détour par les textes de Say, Ricardo, Keynes, jusqu’à déplorer la fin de la civilisation qu’engendrerait la diffusion de la culture woke “qui détruit tout ce qu’elle touche”. L’essayiste dénonce la journée sans Blancs du campus de l’université d’Evergreen, l’annulation d’une représentation des Suppliantes d’Eschyle à la Sorbonne, la suppression de l’enseignement de littérature anglaise antérieure à 1500 dans les universités anglaises, remplacé par un programme décolonisé, l’autodafé de livres pour enfants dans des bibliothèques canadiennes qui véhiculaient des “stéréotypes d’autochtones inappropriés”… “Nous sommes entrés dans une crise de civilisation dont nous sous-estimons la gravité”, estime Guaino, qui voit dans l’Occident une civilisation qui s'auto-dénigre en permanence, efface son passé glorieux, et met en doute certains fondements anthropologiques comme la différence hommes-femmes. L’Occident triomphant des cinq derniers siècles ne sait plus qui il est, et cède désormais la place aux autres civilisations qui, longtemps refoulées, se repaissent de sa décadence.

 

Dans la deuxième partie du livre, Josué-Guaino se mue en Saint Jean-Baptiste qui crie dans le désert : “Pourquoi la plupart des gens se bouchent-ils les yeux et les oreilles jusqu'à ce que tout ce qui ne doit plus arriver finisse par arriver ?” Au fond, tout le mal qui nous touche était non seulement prévisible, mais perpétré minutieusement par nos prédécesseurs puis par nous-mêmes. Nous avons négligé l’entretien de nos infrastructures : réseau de chemin de fer, réseau de distribution de l’électricité, canalisations d’eau, monuments ; mais aussi de notre capital humain, avec le chômage et la dégradation de l’école. On a “abîmé des vies et hypothéqué l’avenir”. De surcroît, on n’écoute jamais les cassandres, aux figures polymorphes citées par l’auteur : Jean-Pierre Obin sur l’Education nationale, Philippe Séguin sur les conséquences antidémocratiques de Maastricht, Marcel Boiteux sur le marché européen de l’électricité, ou encore Maurice Allais sur la finance mondialisée. Cassandre-Guaino est maudite, et nous préférons faire l’autruche. Cet essai pessimiste informé, et nourri par une réflexion personnelle est précieux pour faire un inventaire complet des causes du déclin de la France. Il n’est nullement programmatique, et son lecteur le refermera encore plus déprimé qu’à son commencement. Mais plus éclairé.

 
 
A la septième fois, les murailles tombèrent d'Henri Guaino, ou le constat désespéré d’une Cassandre dépitée
A la septième fois, les murailles tombèrent d'Henri Guaino, ou le constat désespéré d’une Cassandre dépitée
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