"Pourquoi la guerre", de Frédéric Gros : le retour de la guerre ? Elle n'a jamais cessé !

Pourquoi la guerre, Frédéric Gros (Albin Michel - 18€)

Cet article est initialement paru le 4 février 2023 dans Marianne.

24 février 2022 : “cette fois, c’est vraiment la guerre,” entendait-on partout en Europe au moment de l’invasion russe en Ukraine. Pourtant, celle-ci n’a jamais cessé. C’est ce que Frédéric Gros s’attache à démontrer dans un essai accessible, Pourquoi la guerre (ed. Albin Michel), qui revient, entre réflexion sur l’actualité et notions philosophiques, sur les concepts élémentaires qui structurent la guerre. A juste titre, l’auteur rappelle la subjectivité de la perception de la guerre en Europe occidentale, puisque la guerre en Ukraine travaille davantage les esprits que celles qui ont déchiré l’ex-Yougoslavie il y a trente ans, sans compter celles qui continuent de sévir au Proche-Orient ou en Afrique. Sur le plan du vocabulaire, Frédéric Gros souligne que les dirigeants contemporains préfèrent occulter le terme même de "guerre" ; Vladimir Poutine parle d'“opération militaire spéciale”, pendant des “interventions” occidentales, notamment américaines, au Moyen-Orient. Le philosophe met en lumière l’ambivalence morale de la guerre en ce qu’elle révèle chez l’homme, capable du sens du sacrifice ou de bestialité, sa part d’héroïsme et sa part de barbarie. L'auteur relève le manichéisme consistant en Occident à opposer un Poutine "sanguinaire, tyrannique et psychopathe" à un Zelensky "héroïque et exemplaire". Chaque camp a besoin de diaboliser et de canoniser pour se raccrocher à un narratif, une histoire auxquels croire. Car la guerre a toujours fait l’objet de célébrations dans la littérature, d’Homère aux récits des Poilus de la Grande Guerre. La guerre est avant tout affaire de morale dès lors qu’on est prêt à mourir pour quelque chose de plus grand, comme la patrie, la liberté ou la justice. Qui n’a jamais entendu sur le ton de la (mauvaise) boutade qu’avec le confort anesthésiant et la perte de valeurs, tout se perdait, et qu’une “bonne vieille guerre” remettrait les choses en place ? Cela rejoint le raisonnement de Hegel, qui qualifiait de “bienfait des guerres” - pour lui, moteurs de l'histoire - l’aptitude de celles-ci à faire renaître dans la société le sens de l’essentiel. L’auteur pose des questions aussi cruciales que vertigineuses comme “qu’est-ce qu’une guerre juste ?” ou encore “pourquoi les hommes se font-ils la guerre, et depuis si longtemps ?”. Cet essai a le mérite, non de répondre à ces questions, mais de donner des pistes et des références philosophiques essentielles pour y réfléchir. Et c’est précieux pour l’époque que nous traversons.